La régulation du système nerveux en classe
Keri Albert, enseignante à l’école primaire de Saskatoon, s’intéresse de près à la régulation du système nerveux. Elle partage ses connaissances non seulement avec ses élèves, mais aussi avec d’autres enseignants à travers le Canada. Le Journal de l'EPS a eu le plaisir d'interviewer Keri pour qu'elle explique pourquoi la régulation du système nerveux est importante pour les enseignants et comment ces derniers peuvent aider leurs élèves à réguler leur propre système nerveux.
Q: Pour commencer, pouvez-vous nous dire d’où vous vient cet intérêt pour la régulation du système nerveux ?
J’ai été enseignante dans une classe d’école primaire pendant 28 ans. Avant, et surtout pendant la pandémie, j’avais commencé à remarquer un recul de ma propre capacité à faire face aux aléas de la vie. Je me sentais plus irritable, j’avais plus de difficulté à dormir et je me sentais anxieuse ou « déstabilisé » par des choses qui ne m’auraient pas inquiétée auparavant.
J’ai commencé à me demander pourquoi, comment les processus dans mon corps et mon cerveau pouvaient provoquer cette expérience. C’est au fil de lectures, de balados et de recherches que j’ai appris à connaître mon système nerveux. Ce sujet m’a beaucoup parlé, car j’ai souvent l’impression d’être à bout de nerfs et que les gens s’y acharnent.
J’ai appris ce qu’était un traumatisme et j’ai commencé à comprendre que la plupart des gens en souffraient sous une forme ou une autre. Un traumatisme est quelque chose qui arrive trop vite, trop tôt et trop rapidement, et nous n’avons aucun moyen ni personne pour nous aider à passer à travers. Or, il m’est arrivé beaucoup de choses dans mon enfance que mon corps a refoulées et qui se manifestent aujourd’hui par des déclencheurs ou des sensibilités que mon cerveau logique ne peut pas comprendre. Ça a été aussi utile d’en savoir plus à ce sujet.
Q: Que signifie réguler son système nerveux ?
Réguler son système nerveux revient à trouver des moyens de ramener son cerveau de l’état de déclenchement, soit le mode lutte, fuite, dissociation, soumission, pour accéder à notre cortex préfrontal et notre cerveau logique afin de mieux se comporter et gérer la situation.
En état de « déclenchement », l’amygdale, la partie la plus archaïque de notre cerveau, parfois appelée cerveau reptilien (ressource uniquement en anglais) et que je surnomme « gardien de sécurité » auprès de mes étudiants, se met en branle. Je dis aussi que « notre marmite explose ». Nous sommes renvoyés à une vieille réaction autonome. C’est le « Oh, mon Dieu! Il y a quelque chose de dangereux ici! », même si ce n’est pas le cas, et nous pensons qu’il faut répondre et réagir tout de suite.
Q: Comment un enseignant peut-il reconnaître qu’un enfant perd le contrôle?
L’état de déclenchement se manifeste de plusieurs façons. Physiquement, cela peut varier d’une personne à l’autre, mais certaines des caractéristiques les plus courantes sont les suivantes :
- Épaules surélevées
- Augmentation du rythme cardiaque
- Essoufflement
- Le corps se crispe
- Transpiration
- Courbatures et douleurs
- Doigts engourdis ou picotements
- Incapacité à se déplacer (jambes lourdes)
- Fatigue
Lorsque nous sommes dans cet état, nous ne pouvons pas réfléchir logiquement à une situation. Pour ramener notre cerveau en ligne, nous devons donc être capables de nous détendre. Lorsque notre système nerveux est activé, on parle d’hyperactivation. C’est le moment où nous sommes en état de lutte, de fuite ou de soumission, où notre énergie est élevée et où nous n’arrivons pas à nous calmer. Nous sommes agités.
L’autre extrémité du spectre est l’hypoactivation. Dans cet état, nous ne pouvons rien faire. Nous figeons littéralement. Nous devons donc essayer de trouver des moyens de nous détendre afin de retrouver l’équilibre. Les élèves et les enseignants ne peuvent pas réfléchir logiquement à leur comportement lorsqu’ils sont en état d’hyper- ou d’hypoactivation.
Q: Pourquoi la régulation du système nerveux est-elle si importante pour les enseignants en EPS et les étudiants?
C’est très important pour les enseignants parce que nous sommes avec des enfants qui viennent avec toutes sortes de « sacs à dos invisibles », une métaphore qui me plaît parce que nous ne savons pas ce que les élèves transportent. Nous ne savons pas quelles situations ou expériences défavorables ils ont vécues. Peut-être sont-ils neurodivergents ou vivent-ils avec différentes réalités corporelles.
J’aime considérer les enfants comme une carte au trésor, les laisser me guider et apprendre à les connaître, les laisser me révéler qui ils sont et ce dont ils ont besoin. Cependant, pour que je puisse suivre les enfants et être présente avec cette idée de carte au trésor, je dois être capable de me calmer lorsque je suis à court de ressources et que j’éprouve des difficultés.
C’est particulièrement important en classe. Les enfants doivent savoir qu’ils disposent de tous les outils nécessaires pour s’aider eux-mêmes dans leur propre corps. Nous avons tous un souffle. Nous avons tous une voix. Nous avons tous la capacité de bouger. Or, ces trois outils sont essentiels à la régulation du système nerveux. Rien de spécial n’est nécessaire.
Q: Quelles sont les activités que les enseignants peuvent faire pour eux-mêmes et pour leurs élèves?
La gestion de nos propres émotions est essentielle pour créer un environnement de classe favorable. Au fil des ans, j'ai découvert quelques techniques efficaces pour réguler le système nerveux, tant pour moi que pour mes élèves :
- Respiration carrée: Voici quelques techniques de respiration à garder dans sa poche arrière en tout temps. L’une des bonnes méthodes que je connais s’appelle la respiration carrée. En tant qu’enseignante, lorsque je me rends quelque part à la marche, je fais de la respiration carrée. Si j’ai une minute de calme, je fais de la respiration carrée. Cela suffit pour me calmer efficacement et assez rapidement.
- Bourdonnement de l’abeille: Le bourdonnement de l’abeille est une autre technique qui marche pour tout le monde. Il s’agit simplement d’inspirer par le nez et d’expirer lentement en faisant résonner les cordes vocales à la manière d’une abeille. Cette technique est d’autant plus intéressante qu’elle peut vous faire redescendre si vous êtes en état d’hyperactivation et vous remonter si vous êtes en état d’hypoexcitation.
- Faire une promenade: Je sais que l’idée peut sembler un cliché pour tout le monde, mais ça marche vraiment. Se désengager de la situation et entrer dans son corps pendant 2 à 5 minutes peut vraiment aider. Parfois, dans ma classe, si mon système nerveux se dérègle, je dis à la classe : « Je dois prendre cinq minutes pour aller chercher quelque chose à la photocopieuse ». Un enseignant peut demander à un voisin de couvrir sa classe pendant qu’il sort.
- Se dégourdir: Allez dans un endroit où personne ne peut vous voir et sautez sur place et secouez votre corps pendant environ une minute. Cela fera circuler l’énergie et vous aidera à retrouver votre calme.
- Thérapie: Je pense qu’il est extrêmement important de consulter régulièrement un thérapeute, car nous en retirons des avantages en tant qu’enseignants. Il s’agit d’un outil très précieux pour moi. Je le recommande souvent aux enseignants et aux familles des élèves.
Q: Avez-vous des conseils pour les enseignants qui hésiteraient à utiliser ces activités avec ou devant leurs élèves?
Ne jetez pas l’éponge. Même si vous vous sentez gêné ou un peu mal à l’aise, souvenez-vous que notre corps a tous les outils nécessaires pour nous aider. Cela est essentiel pour enseigner à nos élèves. Si je ne suis pas à l’aise avec le langage utilisé, je cherche des vidéos en ligne. Je trouve d’autres ressources professionnelles destinées aux enfants. Je partage de nombreuses vidéos sur YouTube et d’autres ressources, comme des infographies, au lieu de faire des démonstrations bizarres devant la classe.
Il est important d’enseigner ces pratiques aux élèves, car tout le monde a besoin de connaître son propre cerveau, à tout âge. Même les adultes y trouveront leur compte. C’est un excellent rappel pour une réunion de personnel. Je n’abandonnerais pas cette idée. De là tout l’importance de la simple affirmation suivante : Pour faire des choix éclairés, il faut être calme. Je pense que cette déclaration valide cette pratique et en souligne l’importance auprès des enfants.
Un autre outil puissant consiste à interroger les enfants eux-mêmes, car beaucoup d’entre eux ont suivi des cours sur l’inquiétude et l’anxiété, ou sont allés voir des thérapeutes et connaissent différentes techniques de respiration. Ma classe a dressé des listes de 20 techniques de respiration ou plus, car les enfants en ont appris tellement de différentes.
Q: Quel message voulez-vous que les enseignants retiennent?
Je pense qu’il est préférable de reconnaître les signes et de prendre une petite pause plutôt que de se laisser aller et de perdre toute notion de sa réaction et de sa façon de parler aux élèves, puis de terminer sa journée d’école en se sentant mal d’avoir perdu la tête. Nous avons tous les outils nécessaires en nous. Il suffit de s’en souvenir et de s’entraîner à les utiliser. C’est toute une vie de pratique, mais j’aime pouvoir partager avec les élèves l’idée que notre cerveau peut se recâbler. Les merveilles du cerveau humain et la possibilité d’apprendre à le connaître peuvent être une véritable source d’inspiration pour les personnes de tout âge.
Ressources complémentaires
- Balado IGen (disponible partout où vous accédez à vos balados) *ressource uniquement disponible en anglais
- Enseignez la résilience
- kerialbert.ca *lien traduit via Google Traduction
- TREEmendous Empathy (pinterest.com) Une ressource que les enseignants peuvent partager avec leurs élèves pour aborder les émotions *ressource uniquement disponible en anglais
- Window of Tolerance *lien traduit via Google Traduction
- Le modèle du cerveau dans la main du Dr Dan Siegel *lien traduit via Google Traduction
- La théorie polyvagale du Dr Steven Porges *ressource uniquement disponible en anglais
- ATTCH Niagra *lien traduit via Google Traduction
- Dr Gabor Mate - Trauma *lien traduit via Google Traduction