Pourquoi les enfants ont besoin de jouer à des jeux risqués en plein air
Publié précédemment dans le volume 81, numéro 4
En janvier 2015, j’étais invité à faire partie d’un groupe diversifié de professionnels de partout au Canada spécialisés en éducation physique, en activité physique et en santé. Nous avions pour tâche d’élaborer une prise de position nationale sur les jeux actifs à l’extérieur.
C’est pendant ces deux jours de réunions à Toronto que j’ai réalisé la nécessité d’intensifier mes propres activités de revendication en faveur du jeu et de l’apprentissage en plein air, particulièrement auprès des étudiants du programme de formation des enseignants d’éducation auxquels j’enseigne à l’université de l’Alberta.
J’ai toujours été en faveur de l’éducation en plein air, encourageant mes propres enfants ainsi que mes anciens élèves de la 7e année à la 12e année à aller dehors, à jouer dehors et à apprendre dehors. Mais après avoir été inondé de statistiques indiquant combien les enfants canadiens d’aujourd’hui sont confinés à la maison et combien de parents craignent de laisser leurs enfants jouer dehors par crainte qu’ils se fassent enlever ou se blessent, je me suis senti obligé de faire tout ce que je pouvais pour faire une différence.
Jusqu’ici, j’ai eu recours aux médias sociaux pour partager les faits réels sur le jeu risqué en plein air et j’ai engagé des efforts concertés pour discuter plus longuement de ce sujet dans le cadre de mes cours de méthode et de pédagogie de l’éducation physique.
Que sait-on vraiment? De quoi a-t-on vraiment peur?
Vous, ou quelqu’un que vous connaissez, vous êtes-vous déjà plaints de la qualité de l’air dans une école ou des effets néfastes de lumières fluorescentes sur le bien-être d’une personne? Une étude sur la qualité de l’air intérieur menée aux États-Unis en 1989 a révélé que l’Américain moyen passait 90 % de son temps à l’intérieur (U.S. Environmental Protection Agency). Malheureusement, la recherche a aussi démontré que la qualité de l’air à l’intérieur était souvent très inférieure à la qualité de l’air que nous respirons dehors, une situation qui augmente notre exposition aux allergènes courants et aux maladies infectieuses et qui peut mener à des affections chroniques (Jones, 1991).
Le Canada est un pays privilégié doté d’une très riche nature et de grandes possibilités récréatives en plein air. Par contre, la définition et la compréhension de la nature font l’objet d’interprétations très différentes d’une personne à l’autre. On peut dire la même chose des termes « à risque » et « risqué ». Le risque est souvent perçu comme un négatif, un mauvais mot, au lieu d’un terme qui, dans le contexte du jeu, peut simplement signifier un défi ou quelque chose de dynamique et stimulant. Les parents, les gardiens et, malheureusement, beaucoup d’enseignantes et d’enseignants et de gestionnaires, ont décidé d’établir des règles qui briment ou éliminent le jeu en plein air et l’apprentissage qui en résulte par crainte de ce qui pourrait arriver aux enfants lorsqu’ils jouent et apprennent dehors.
« L’emballage à bulles » ne protège pas
La notion de danger des parents et des enseignants et enseignants peut n’avoir rien à voir avec la notion de danger réel. À titre d’exemple, même si les statistiques confirment les dangers liés à la circulation, les enlèvements d’enfants par des étrangers sont extrêmement rares. Ironiquement, les inquiétudes liées au « danger des étrangers » ont contribué à l’augmentation du flot de circulation et aux dangers correspondants. (Carver, Timperio, Crawford, 2008).
Depuis quelque temps, on a recours à des expressions comme « hyperparentage » et « emballage à bulles » pour décrire les temps changeants. Mais au lieu de protéger les enfants, les recherches révèlent que l’hyperparentage a pour effet de limiter l’activité physique et peut nuire à la santé mentale de l’enfant. De plus, les enfants qui sont étroitement supervisés par leurs parents quand ils jouent dehors tendent à être moins actifs que si les parents les laissaient jouer seuls et prendre des risques (LeMoyne, Buchanan, 2011).
La vérité sur le plein air
En tant qu’enseignantes et enseignants d’éducation physique, il peut s’avérer compliqué de donner la chance aux enfants de surmonter les risques et défis du jeu et des aventures en plein air lorsqu’on vit et travaille dans une société obsédée par la peur. Il est clair qu’aucun d’entre nous ne veut que les enfants se fassent mal, mais nos craintes peuvent nous porter à réagir exagérément au jeu risqué. Si nous enlevons le risque du jeu et, ultimement, de notre pédagogie et planification ciblée, nous ne permettons pas et nous n’encourageons pas les enfants à persévérer à des tâches difficiles. Si nous enlevons les défis, nous n’aidons pas nos enfants à devenir plus résilients. Il importe de faire la distinction entre un risque et un danger et de valoriser tout autant la santé et les bienfaits à long terme que la sécurité. Si nous ne changeons pas nos perceptions et nos valeurs comme parents, enseignants et gardiens, nous courrons le risque de faire encore plus de mal à nos enfants à long terme.
Les statistiques à l’appui du jeu en plein air et du risque
- Selon des rapports de la GRC, les chances qu’un étranger enlève un enfant sont de 1 sur 14 000 000. (Dalley, Ruscoe, 2003).
- Quand les enfants sont dehors, ils bougent plus, sont assis moins longtemps et, non surprenamment, jouent plus longtemps (Skala et coll. 2012).
- Il peut malheureusement y avoir des os cassés et des blessures à la tête quand les enfants jouent, mais les cas de traumatisme majeur sont rares. La plupart des blessures associées au jeu en plein air sont mineures. (Nauta et coll. 2015)
De fait, il a été démontré que les risques associés au jeu en plein air dans des environnements naturels ont des effets positifs sur le développement global de l’enfant. Le fait d’être capable de grimper, de sauter, de faire des culbutes et d’explorer en toute indépendance contribue non seulement à rehausser la santé physique des enfants, mais aide aussi à améliorer leurs interactions sociales, leur créativité et leur résilience.
Donc, si tant de données probantes démontrent les effets positifs sur la santé générale et le bien-être des enfants, pourquoi donc les écoles interdisent-elles les jeux de poursuite et empêchent-elles les élèves de faire des roues et des rondes pendant la récréation? Pourquoi certaines villes canadiennes interdisent-elles le toboggan, la planche à roulettes et autres activités saisonnières? Pourquoi certains enseignants d’éducation physique vont-ils rarement (ou jamais) dehors avec leurs élèves pour leur donner des cours en plein air et pour leur faire vivre des expériences dans la nature comme la randonnée, le vélo, la géocachette et la course d’orientation au fil du semestre? Si la réponse, c’est la peur du risque de blessure ou de poursuite, je demanderais une fois de plus aux décideurs et chefs de file de réfléchir aux dangers à long terme d’interdire de telles expériences aux enfants.
Popularité croissante des terrains de jeu naturels
L’activité physique des enfants constitue un aspect essentiel d’un mode de vie sain et le fait de passer du temps dehors peut faire une énorme différence. Les terrains de jeu situés dans des environnements plus naturels avec des collines, des arbres, des roches, du gazon et des billots ont aussi des effets positifs sur la santé, les comportements et le développement social des enfants. Les terrains de jeu naturels permettent également aux enfants de reprendre contact avec la nature, ce qu’ils ont peut-être peu d’occasions de faire dans le cadre de leur routine quotidienne à mesure que la population urbaine prend de l’expansion. On commence à installer des terrains de jeu naturels un peu partout à travers le pays, à mesure que les concepteurs de parcs, les municipalités et les conseils scolaires gravitent autour de cette forme de loisirs organique.
Vancouver, Edmonton et Moncton figurent parmi les villes canadiennes qui ont récemment dévoilé des terrains de jeu naturels agrémentés de matériaux entièrement naturels et sans équipement manufacturé. En Ontario, la ville de Collingwood a été la première municipalité de la province à adopter une loi interdisant les terrains de jeu avec des installations en plastique et en acier.
Le besoin de jouer des enfants a été reconnu à l’échelle internationale comme un droit fondamental des enfants. Des dizaines de bienfaits développementaux et sanitaires ont également été associés au besoin des enfants de s’adonner à des jeux risqués en plein air. Il en va de même de la nécessité d’instaurer des programmes d’éducation physique de qualité qui valorisent et encouragent l’apprentissage dans divers types d’environnement.
Solutions simples et recommandations
- Tous les parents doivent encourager leurs enfants à passer plus de temps dehors et à apprécier tout ce que le plein air a à leur offrir. Les parents doivent aussi aller dehors avec leurs enfants et donner le bon exemple lorsqu’il s’agit de braver les éléments et de profiter d’occasions uniques propres à la vie au grand air.
- Les enseignants et les gestionnaires doivent prendre du recul, revoir leurs positions et réfléchir à ce qui se passe depuis quelques années. Ils doivent se rééduquer à la lumière des nouvelles données et réaliser qu’ils causent plus de mal que de bien en interdisant tant d’activités et en limitant des jeux et des programmes qui n’étaient soumis à aucune restriction du genre il y a à peine une génération.
- Les enseignants d’éducation physique doivent revoir leurs plans annuels d’éducation physique pour toutes les années et s’assurer de prévoir un nombre suffisant d’unités de cours et de leçons enseignés en plein air. Ils doivent se rappeler tous les bienfaits sociaux, physiques et émotifs dont profitent tous les élèves lorsqu’ils ont la chance d’apprendre dans un environnement de plein air unique.
Si nous voulons des jeunes confiants qui sont prêts à faire face au risque et à relever des défis, alors nous avons besoin d’enseignants et de parents qui comprennent pleinement les enjeux entourant le risque et le jeu. Ceci va bien au-delà d’un programme de « santé et sécurité » myope. En encabanant nos enfants à l’intérieur et en les surprotégeant, il se pourrait bien que nous leur causions plus de mal que de bien à long terme.
References
Carver, A., Timperio, A., & Crawford, D. Playing it safe: The influence of neighbourhood safety on Children’s physical activity – A review. Health Place (14), 217-227.
Dalley, M., Ruscoe, J. 2003. The abduction of children by strangers in Canada: Nature and scope. Royal Canadian Mounted Police.
Jones, AP. Asthma and domestic air quality. 1991. SocSci Med 47, 755-764.
LeMoyne, T., Buchanan, T. 2011. Does “hovering” matter? Helicopter parenting and its effect on well-being. Sociological Spectrum (31) 399-418.
Nauta, et al. Injury risk during different physical activity behaviours in children. A systematic review with bias assessment. Sport Med (45) 327-336.
Skala, et al. 2012. Environmental characteristics and student physical activity in PE class: findings from two large urban areas of Texas. Journal of Physical Activity and Health. Vol. 9, 481-491.
U.S. Environmental Protection Agency (EPA). 1989. Report to Congress on Indoor Air Quality – Vol. II: Assessment and Control of Indoor Air Pollution. EPA/400/1-89/001C. Washington, D.C.: US EPA. Available at www.tinyurl.com/CCN-2013-R017E.