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Quand on sait mieux, on fait mieux - une conversation sur la création d'environnements scolaires qui respectent la diversité corporelle

12 février 2024
A person who looks in the mirror, relaxed and at ease.

Chaque année au Canada, la Semaine de sensibilisation aux troubles de l’alimentation a lieu pendant la première semaine de février. Lorsque les enseignants envisagent d’organiser des activités de sensibilisation dans leur école, ils peuvent se sentir mal préparés en raison du manque de formation officielle en matière de santé et de bien-être qu'ils reçoivent, ou bien ils ne savent tout simplement pas comment s’y prendre pour aborder les questions complexes liées au poids (Nocentini et al., 2019). Or, la promotion de la santé en milieu scolaire doit adopter une approche réfléchie et nuancée pour éviter les conséquences négatives non intentionnelles, en particulier autour des thèmes du poids, de l'activité physique et de la nutrition (Tingle, Saunders, Nutter et Russell-Mayhew, 2023). Heureusement, il existe de nombreux moyens pour aider les écoles et les enseignants à aborder ces conversations de manière positive.

À ce titre, nous nous sommes entretenus avec la Dre Shelly Russell-Mayhew, directrice du laboratoire de recherche sur l'image corporelle, professeure de psychologie du counseling et doyenne associée de la recherche dans la Faculté d’éducation Werklund à l'Université de Calgary, et Elizabeth Tingle, instructrice à la Faculté d’éducation Werklund et coordinatrice du laboratoire de recherche sur l'image corporelle

Shelly Russell-Mayhew et Elizabeth Tingle partagent leur expertise sur les avantages d'un bien-être non lié au poids dans le contexte particulier du milieu scolaire et de l’approche globale de la santé à l'école. Elles présentent des stratégies que les enseignants peuvent utiliser pour aborder positivement les conversations sur la santé, notamment les troubles de l'alimentation, l'image corporelle, les régimes et le mouvement, ainsi que des moyens par lesquels les enseignants peuvent faire de leur propre bien-être une priorité. Elles font valoir que « lorsqu’on sait mieux, on fait mieux », une merveilleuse idée partagée à l'origine par Maya Angelou. Ce thème est à la base de notre conversation et constitue une excellente perspective pour développer des relations plus saines avec le corps, l'activité physique et la nutrition.
 

9 silhouettes of various body shapes and sizes

(Image fournie par le laboratoire de recherche sur l'image corporelle)

Qu'est-ce qui vous a poussées toutes les deux à mener ce type de recherche ?

Dre Shelly Russell-Mayhew : Il y a environ 27 ans, lorsque je commençais ma carrière, je me concentrais exclusivement sur les troubles de l'alimentation, l'obésité, les préjugés en lien avec le poids, l'image corporelle et les stratégies de prévention. Je me suis ensuite demandé comment cultiver et soutenir des environnements qui permettent aux gens de développer une relation saine avec leur corps. Au début, je me suis surtout concentrée sur la programmation et la prévention dans mes domaines de spécialisation. Je me suis vite rendu compte que si nous voulions réellement promouvoir des relations saines avec le corps et l'alimentation dans les écoles, nous ne pouvions pas nous contenter de parachuter des programmes. Il ne suffit pas de déployer des programmes et ne pas faire de suivi, ou de faire venir un expert pour une visite ponctuelle. Au contraire, il faut créer un environnement dans lequel tous les acteurs de l'école peuvent s'épanouir. Je me qualifie de « chercheuse accidentelle en santé scolaire globale » parce que je n'ai jamais eu l'intention de devenir une experte en promotion de la santé à l'école ou en promotion de la santé dans un contexte éducatif. Ces deux domaines peuvent sembler très distincts, mais je ne les considère pas du tout comme tels. Pour que la santé globale à l'école soit efficace, il faut la dissocier du poids. Ces deux éléments (santé scolaire globale et promotion de la santé sans considération du poids) se recoupent dans mon esprit et je suis une fervente défenseuse de cette approche. Pour permettre aux enfants de développer des relations saines avec leur corps au fil du temps, il faut mettre en place des soutiens systémiques et structurels. Ce type de cadre est le moyen d'y parvenir, car il crée un environnement dans lequel davantage d'élèves peuvent s'épanouir.

Elizabeth Tingle : Je me suis intéressée aux recherches sur les approches du bien-être non liées au poids parce que j'ai eu une relation malsaine et malheureuse avec mon corps durant mon adolescence. Je constate avec tristesse que mon expérience est répandue chez les jeunes. En tant qu'enseignante, surtout lors d’aborder des sujets liés à la santé, je voulais épargner à mes élèves cette souffrance que j’avais vécue. Cependant, je n’avais pas beaucoup de ressources ou d’idées sur la façon d’enseigner la santé corporelle sans exposer mes élèves à des préoccupations liées à la taille ou à la morphologie. Maintenant, en tant que mère de trois enfants, je suis encore plus motivée pour créer des environnements scolaires susceptibles de favoriser une relation positive avec notre corps.

Quelle est la différence entre une approche de promotion de la santé centrée sur le poids et une approche non liée au poids ?

Elizabeth : Une approche centrée sur le poids consiste à utiliser le poids comme une référence ou un raccourci pour déterminer si une personne est en bonne santé et à manipuler l’alimentation et les activités pour atteindre un « poids santé ». En mettant l’accent sur le poids d’une personne, on risque de démoraliser les personnes qui n’obtiennent pas le résultat escompté. Il s’agit d’un leurre qui n’a rien à voir avec l’ajout de l’activité physique ou d’une plus grande variété nutritionnelle dans nos vies. 

Par contre, une approche non liée au poids préconise l’adoption de comportements sains, et l’évolution de la masse corporelle n’est pas l’objectif. Certaines personnes verront changer leur masse corporelle à force de bouger davantage ou de changer les habitudes alimentaires, mais d’autres non. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres effets salutaires. Nous savons aujourd’hui que les approches centrées sur le poids ne sont pas favorables à la santé et que nous devons privilégier une approche non liée au poids.

A young girl holding a plate of food in what appears to be a school canteen

Shelly : Le poids n’est pas un comportement. Il ne doit donc pas être la cible des modifications du comportement. Bouger est important pour tout le monde. Une alimentation équilibrée et de qualité est importante pour tout le monde. Si l’accent est mis sur le poids, nous passons en fait à côté de tout un groupe de personnes qui bénéficieraient de l’activité physique. Que ce soit pour leur santé mentale, le plaisir de bouger ou la camaraderie d’un sport d’équipe, le mouvement est important pour tous les corps, pour de nombreuses raisons.

Au Canada, la première semaine de février est la semaine de sensibilisation aux troubles de l’alimentation. Pourquoi la prévention des troubles de l’alimentation est-elle si importante ?

Elizabeth : Les raisons sont multiples :

  1. Le traitement est difficile. Une fois que les troubles de l’alimentation prennent racine, ils peuvent durer très longtemps. 
  2. Le traitement des troubles de l’alimentation exige beaucoup de ressources et il y a un grand risque de récidive. 
  3. Les troubles de l’alimentation peuvent compromettre de manière significative la qualité de vie et la santé physique d’une personne; c’est pourquoi la prévention est toujours préférable. 
  4. L’alimentation perturbée et l’insatisfaction corporelle, qui contribuent au développement des troubles de l’alimentation et compromettent le bien-être, sont également très répandues.

Si peu d’enfants et d’adolescents souffrent de troubles alimentaires aigus, il existe un grand nombre de comportements sous-liminaires dans le spectre des troubles alimentaires qui compromettent le bien-être, tels que l’alimentation perturbée, l’exercice physique compulsif ou excessif et la tendance à comparer son corps à ceux d’autrui. Une intervention de santé publique est de mise, car l’insatisfaction corporelle est très répandue et constitue une véritable menace pour la santé et le bien-être. Nous n’avons pas assez de praticiens de santé mentale pour prendre en charge le nombre d’élèves aux prises avec ces problèmes. C’est pourquoi un cadre global de santé scolaire doit vraiment faire partie de la solution pour aider les enfants et les jeunes à avoir une relation plus saine avec leur corps.

Comment les enseignants d’EPS peuvent-ils sensibiliser les élèves aux troubles de l’alimentation sans risque de susciter ces mêmes problèmes?

Shelly : Comme nous l’avons dit, « quand on sait mieux, on fait mieux ». Je suis moi-même une personne qui a eu une relation difficile avec son corps. Durant ma vie, j’ai examiné le spectre du poids et la plupart des problèmes liés au poids. Dans le passé, j’ai commis l’erreur de raconter mon histoire dans des écoles alors que j’étais beaucoup plus jeune et beaucoup plus proche de l’âge des élèves auxquels je m’adressais. À l’époque, je pensais qu’en racontant mon histoire, j’empêcherais une autre personne de souffrir. Cependant, les recherches ne préconisent pas ce type d’approche pour les troubles de l’alimentation. Personne n’est à l’abri des récits culturels prônant des idéaux tels que la « minceur » pour les femmes, la « musculation » pour les hommes ou ce à quoi ressemble un « corps sain ». Ces « idéaux » culturels de beauté sont omniprésents. Nous vivons tous dans ce type de culture (centrée sur le poids, axée sur les régimes). Personne n’est à l’abri et l’enseignant n'est pas à blâmer.   

Au contraire, il y a beaucoup d’autres sujets que vous pouvez aborder en classe et qui sont bien plus positifs 

Shelly : En particulier avant le secondaire, nous disposons d’un temps limité pour aborder les questions de santé à l’école. Nous devons réfléchir et nous demander comment utiliser au mieux ce temps. Je m’interroge sur l’intérêt qu’il y a d’enseigner aux élèves le concept des troubles de l’alimentation : on doit plutôt miser sur l'avantage potentiel de parler de la saine alimentation, des façons de développer une image corporelle saine, d'une relation saine avec la nourriture et l'exercice.

Elizabeth : La Dre Niva Piran, chercheuse canadienne et cofondatrice de la National Eating Disorders Association, explique qu’il vaut mieux que les enseignants modèlent une relation saine avec leur corps; c’est une tactique beaucoup plus efficace qu'une simple leçon sur la prévention des troubles de l'alimentation. La façon dont nous (les enseignants) parlons de nous-mêmes, de la nourriture et du mouvement y est pour quelque chose dans la prévention des troubles de l’alimentation chez les élèves. Ses recherches ont montré que le contact avec un seul modèle de rôle adulte qui rejette les stéréotypes liés au poids peut aider à rendre un enfant plus résilient face aux troubles de l’alimentation.

Shelly : Une autre version abrégée du travail du Dr Niva Piran est « en ce qui concerne la prévention des troubles de l'alimentation, les enseignants sont mieux placés pour donner l’exemple que pour donner un cours ». Parfois, il est plus efficace d'en faire moins.

Shelly : Un petit échange peut être à l'origine de toutes sortes de messages malsains cachés dans un commentaire. Il peut s'agir d'un commentaire apparemment innocent, comme un échange entre deux enseignants dans le couloir, du genre : « Tu as l'air en pleine forme ! As-tu perdu du poids ? » C'est quelque chose qui s’entend souvent dans notre culture, mais les messages que cela envoie aux élèves sont les suivants :

  1. Perdre du poids est souhaitable ;
  2. Si je veux être beau, je dois perdre du poids ou être plus mince ; et,
  3. Les adultes sont mal dans leur peau.

Si par contre vous entamez une conversation dans l'intention d'établir un lien, il existe de nombreux sujets alternatifs qui ne portent pas sur le poids ou l'apparence et, par conséquent, il y a moins de risques de dérive dans un sens négatif.

Elizabeth : En tant qu'enseignants, je pense que nous pouvons encadrer les élèves et donner l’exemple. Lorsque vous établissez des règles de base en classe, vous pouvez dire :

  • Il est très important pour moi que chacun se sente en sécurité et accepté. L'une de mes directives est la suivante : Nous ne parlons pas du corps des autres personnes. 
  • Je considère qu’il est impoli de parler du corps des autres personnes parce qu'on ne sait jamais comment on va interpréter les commentaires, même si c’est censé être un compliment.

Un de mes étudiants en BEd a suggéré que si un commentaire porte sur quelque chose qui peut être changé en 5 secondes, il est très probablement acceptable. Il peut s'agir de commentaires portant davantage sur des choix tels que des « lunettes adorables » ou une « belle chemise ». 

Dans le cadre de mes recherches, les commentaires sur la taille ont déclenché un sentiment de dysmorphophobie. En reconnaissant que les commentaires sur la taille peuvent avoir des conséquences différentes selon le sexe, ils entraînent globalement une certaine gêne. Surtout dans une période de la vie d'un enfant où il y a des gains de poids et des poussées de croissance, tout commentaire au sujet du corps est déconseillé, notamment des observations sur la puberté.

Elizabeth : Il existe un risque de mouvement compulsif et d'exercice compulsif. Nous constatons une augmentation de ce risque, en particulier chez les hommes. Nous voulons nous assurer que nous (en tant qu'enseignants) ne préconisons pas des approches extrêmes en matière de mouvement et d'exercice, telles que « pas de jours de repos » ou « on n’a rien sans rien ». Ces messages sont négatifs et encouragent ou renforcent une mentalité propice aux troubles de l'alimentation.

Elizabeth : Il est important d'aider les élèves à comprendre qu'il existe d'autres façons de voir son corps que le modèle très répandu axé sur le contrôle du poids. Même la moindre des interactions suffit pour exprimer cela et donner l'exemple. La façon dont vous réagissez et dont vous parlez de ces détails en apparence mineurs est importante, notamment en raison des messages sous-jacents qui en découlent. On ne sait jamais qui écoute et qui a besoin d'entendre ce point de vue différent. 

Exemple 1 : Un élève dit qu'il a mangé une barre de chocolat au déjeuner et qu'il n'aurait peut-être pas dû. Au lieu de répondre « Oui, tu n'aurais pas dû. Ce n'est pas très sain », vous pourriez dire : « Je pense que tous les aliments ont leur place dans un régime alimentaire sain ». 

Exemple 2 : Lorsque les enfants entendent des adultes faire des commentaires tels que « Ah, je ne peux pas manger ce beignet. Je n'ai pas fait ma séance d'entraînement ce matin », les messages sous-jacents sont les suivants : 

  • Je dois compenser ce que je mange par de l'exercice ;
  • Je n'ai droit à des friandises que si je brûle des calories ;  
  • Si je mange cela, c'est que je ne suis pas en bonne santé ; et,
  • Ce type d'aliment va avoir des effets négatifs sur mon corps.

Shelly : Des études ont démontré que le fait d'évoquer les causes et les conséquences des troubles de l'alimentation peut en fait augmenter le risque de catalyser ce type de comportement. Au mieux, parler des signes, des symptômes, des causes et des conséquences des troubles de l'alimentation ne sert à rien ; au pire, cela peut augmenter le risque d'alimentation perturbée. Mettre l'accent sur les troubles et les maladies n'est pas vraiment utile. Je dirais que, dans le cas des troubles de l’alimentation, une approche purement didactique est peine perdue.

Elizabeth : La raison pour laquelle cela pose problème est que les enseignants ne savent pas combien de leurs élèves – ou lesquels – se sont déjà fixé des objectifs de perte de poids. Lorsqu’on aborde le sujet des troubles alimentaires, il est possible que certains élèves aient déjà adopté une mentalité du genre « la priorité numéro un de ma vie est de changer mon corps d’une manière ou d’une autre ». C’est ainsi que les élèves absorbent ce type d’information. L’autre raison pour laquelle il est difficile d’aborder ce sujet en classe, c’est qu’il y a déjà beaucoup de contenus en ligne qui incitent les jeunes à suivre la voie des troubles alimentaires. Les élèves risquent alors d’effectuer des recherches au sujet des troubles de l’alimentation et de tomber sur des sites Internet assez dangereux et malsains. Dans le même ordre d’idée, c’est pour cette même raison qu’il n’est pas souhaitable d’adopter une approche purement didactique pour aborder le sujet des drogues injectables.

 

Elizabeth : Nous vivons dans une culture qui bascule dans le déséquilibre. Il faut faire un choix intentionnel de refuser le statu quo dans lequel les adultes, et les élèves eux-mêmes, sont immergés, au risque d’introduire ces valeurs dans le cadre scolaire.

Shelly : Plus nous apprenons, mieux nous sommes équipés pour faire les choses différemment. Même les activités les mieux intentionnées ne font en réalité que perpétuer la culture du régime et ce que j'appellerais la « mentalité des troubles de l'alimentation », tant le concept s’est enraciné dans notre société. Cela étant, je pense qu'il faut être indulgent avec les enseignants qui sont, en fin de compte, des gens ordinaires qui appartiennent à cette culture plus large qui est obsédée par le poids. Ces tendances culturelles finissent par se répercuter dans les écoles de manière potentiellement très néfaste. C'est pourquoi « quand on sait mieux, on fait mieux ».

Si un élève pose une question sur un type de trouble alimentaire en classe, quelle démarche recommandez-vous aux enseignants pour gérer ce type de conversation ?

Shelly : Il s'agit d'une conversation privée. Si un étudiant me pose une question sur un trouble alimentaire, je lui réponds « C'est une question très intéressante. J'aimerais en discuter avec toi après le cours ». Je ne répondrais pas à cette question devant la classe dans son ensemble parce qu'on ne peut pas être sûr des répercussions sur les autres individus. Souvent, les étudiants qui posent de telles questions sont ou bien confrontés eux-mêmes à un risque de troubles de l'alimentation, ou bien dans l’entourage d’une personne atteinte d’un trouble, ou les deux. Si un élève montre un intérêt particulier pour ce type de questions, j'essaierai de mener ces conversations en tête-à-tête. Je serais alors très attentive à tout ce que je remarque chez cet élève.

Elizabeth : Si vous pensez qu'un élève risque de souffrir d'un trouble de l'alimentation, prenez contact avec un parent, documentez les comportements observés et utilisez les voies d'orientation de votre école pour l’aiguiller vers l'aide dont il a besoin.

Quels sont les autres moyens de changer la conversation pour se concentrer sur l'établissement d'un lien afin d'éviter les messages sous-jacents potentiellement nuisibles ?

Shelly : Notre société est obsédée par l'apparence, il est donc assez courant que quelqu'un commente votre apparence comme amorce de conversation. Si c'est la première chose que nous nous disons les uns aux autres, alors le message est vraiment « la chose la plus importante à propos de toi est ton apparence ». Je me fais bien du souci pour notre culture si c'est la valeur que nous tenons en la plus haute estime. Si vous pensez à l'enseignant qui a eu le plus d'influence sur votre vie, qui a fait la plus grande différence positive pour vous, sa valeur ne se doit pas à son apparence. Pourtant, dans nos conversations quotidiennes, nous nous concentrons souvent sur l'apparence. Les conversations devraient s'éloigner du corps et viser à établir des liens plutôt qu'à mettre en valeur l'apparence. Voici quelques suggestions :

  •  « Vous avez beaucoup d'énergie aujourd'hui »
  • « C'est bon de te revoir »
  • « Tu m'as manqué »
  • « Je suis si heureuse d’être ici avec vous »
  • « Je vais te voir en personne aujourd'hui, j’ai hâte »
  • « Cette couleur te va très bien »
  • « Je peux dire que tu t'es amusée en jouant à ça »
  • « Quoi de neuf? »
  • « Tu as l'air vraiment heureux aujourd'hui »

Il est important de réfléchir aux propos qu’on va tenir et se demander si cela contribue à tisser des liens. Suivant le principe selon lequel on s’abstient de faire des commentaires sur l'apparence d'une personne, on peut très bien dire « Oh, j'adore les chiens » si quelqu'un porte une chemise à l'effigie d'un chien. La clé ici est que vous faites une remarque sur ce que la personne porte, mais moins dans l’optique de l’apparence et plus dans l’optique des liens que vous pouvez établir avec la personne.

À quoi un enseignant ou un établissement scolaire doit-il faire attention lorsqu'il lance une initiative de mouvement en faveur de la santé afin d'éviter tout effet nuisible involontaire ?

Shelly : Si l'on consulte les publications qui faisaient autorité il y a 15 à 20 ans, on voit que très souvent les élèves ciblés pour participer à de tels programmes étaient choisis en raison de leur masse corporelle. Ces élèves étaient retirés de la classe et obligés de participer à un « programme d'exercice » après l'école, intitulé « bouge ton corps ». Ce type d'approche pose de nombreux problèmes. Les études nous ont appris que, par la suite, bon nombre de ces enfants se sont retrouvés à l'hôpital avec un trouble alimentaire. Même lorsque nous avons les meilleures intentions, nous devons procéder de manière réfléchie et être conscients du lourd bagage social. Pour créer un espace véritablement sûr dans les écoles, ouvert à tous les corps, nous devons nous opposer à la culture du régime, et nous devons communiquer en nous appuyant sur des approches non liées au poids. 

Une question à se poser lorsqu'on veut éviter une approche centrée sur le poids peut être la suivante : « Avons-nous l'intention de modifier le comportement de quelqu'un même s’il ne s’agit pas en fait d’un comportement ? » Encore une fois, le poids n'est pas un comportement et ne devrait pas être envisagé comme un objectif ou un résultat. 

Dans votre recherche, vous avez mentionné que « les enseignants chargés de dispenser l'éducation à la santé appartiennent eux-mêmes à une population à haut risque d'insatisfaction corporelle, de régimes et de troubles de l'alimentation ». Quels conseils avez-vous pour les enseignants d'EPS pour se concentrer sur leur propre bien-être ?

Elizabeth : Les enseignants d'EPS sont susceptibles d’afficher des taux plus élevés de stigmatisation du poids et de troubles de l'alimentation refoulés. Au nom de leurs « meilleures intentions », ils ont peut-être propagé des idées malsaines, mais nous ne voulons pas que les enseignants aient honte à ce sujet. Si nous avons mis en œuvre des activités de promotion de la santé reposant sur une approche de santé centrée sur le poids, nous devons faire preuve de compassion envers nous-mêmes. Nous voulons que les enseignants fassent preuve de compassion envers eux-mêmes. Il s’agit d’ailleurs d’un facteur de protection important dans la lutte contre les troubles d’alimentation. Plus nous avons de compassion pour nous-mêmes, plus notre relation avec notre corps peut être saine. Les enseignants doivent non seulement incarner ce principe et montrer l’exemple à leurs élèves, mais aussi faire preuve de compassion envers eux-mêmes, en tant qu’éducateurs, pour les choix qu’ils ont faits. Les enseignants ont tout simplement pris les mesures qu’ils jugeaient meilleures dans les circonstances. Nous ne voulons pas que les gens, et les enseignants, ressentent de la honte et de la culpabilité pour avoir essayé de faire les meilleurs choix et pour avoir accédé aux demandes et à la forte pression sociale d’enseigner et de promouvoir la santé de telle ou telle façon.

Tout le monde mérite de se sentir bien dans sa peau, y compris les enseignants. Si ce n’est pas le cas, nous leur recommandons de consulter un professionnel de la santé mentale. On doit abandonner cette idée voulant qu’il faut avoir un diagnostic en main de troubles de l’alimentation avant de pouvoir chercher des soins. Le simple fait d’obtenir un soutien et de pouvoir parler du problème peut améliorer considérablement le bien-être physique et mental d’une personne et lui permettre de commencer à recadrer son dialogue intérieur au sujet de son corps, de la nourriture et du mouvement.

A person in a grey sweater holding a red paper-cut heart, symbolizing self-love.

Shelly : Souvent, je suppose que les enseignants spécialistes de l’EPS sont issus du milieu sportif ou, du moins, qu’ils s’intéressent à ce domaine. C’est peut-être la raison pour laquelle ils se spécialisent dans l’EPS. C’est précisément pourquoi les enseignants d’EPS courent un plus grand risque, parce qu’ils ont vécu l’expérience directe de sous-cultures encore très centrées sur le poids. Ils ont peut-être pratiqué un sport qui privilégie les apparences, comme le patinage artistique ou la gymnastique, ou un sport où il existe de véritables catégories de poids et où l’on se livre à toutes sortes de mesures de contrôle du poids pour atteindre les critères le jour de la pesée.  Même dans un sens général, le sport a tendance à maintenir des valeurs centrées sur le poids qui ne sont pas remises en question. Ce n'est pas le cas de tous les enseignants d'EPS, mais certains d'entre eux peuvent apporter ces idées dans la profession. Nous sommes des membres de la société en dehors de notre rôle d'enseignant. Nous ne sommes pas immunisés contre les régimes ou les cultures centrées sur le poids qui font partie de notre quotidien. Nous apportons tout notre être dans nos interactions pédagogiques. Il est important pour les enseignants de s'en préoccuper et de prendre soin d'eux-mêmes.

Que peuvent faire les écoles/administrateurs/conseils scolaires pour promouvoir et soutenir la promotion de la santé à l'école et éviter les effets négatifs ?

Elizabeth : Le libellé des politiques anti-intimidation devrait mentionner la morphologie corporelle. Souvent, ces politiques indiquent que les écoles ne toléreront pas le racisme, l'homophobie, la transphobie, entre autres, mais ne mentionnent pas l’intimidation liée au poids. Le harcèlement fondé sur le poids est l'une des formes les plus courantes de discrimination en milieu scolaire et est souvent substitué à d'autres formes de discrimination. Les élèves savent qu'ils auront des ennuis s'ils disent quelque chose d'explicitement raciste, mais ils s’en tireront s'ils disent quelque chose de négatif à propos du corps d'une personne. Il est intéressant de noter que les élèves qui font partie de la communauté 2ELGBTQIA+ subissent davantage d’intimidation liée au poids, peu importe leur taille. Cela m’amène à conclure qu'il s'agit d'une manière codée de discriminer ce groupe. Les élèves et les parents sont d’ailleurs moins enclins à signaler ce type d'intimidation en raison de la honte qui entoure le poids. Ainsi, l’intimidation fondée sur le poids n’est pas perçue comme quelque chose d'aussi grave, alors qu'elle perpétue en réalité de nombreux préjudices.

 

Pour approfondir vos connaissances, on vous invite à consulter les ressources supplémentaires et les balados suivants (disponibles uniquement en anglais) :

Références :

Elizabeth Tingle, Jessica F. Saunders, Sarah Nutter & Shelly Russell-Mayhew (2023) Taking Weight Out of the Equation: Unintended Harms of Weight-Focused Health Discourse in Schools, Journal of Physical Education, Recreation & Dance, 94:2, 49-58, DOI: 10.1080/07303084.2022.2146818

Nocentini, A., De Luca, L., & Menesini, E. (2019). The teacher’s role in preventing bullying. Frontiers in Psychology, 10, 1830. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.01830

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