Rapport sur la jeunesse canadienne non binaire dans le sport : Solutions proposées par les jeunes trans et non-binaires
L'expérience des jeunes transgenres et non binaires dans les sports d'équipe organisés au Canada a été largement sous-étudiée et il est temps que leur voix soit entendue.
À la suite de la publication récente du rapport Canadian Non-Binary Youth in Sport, nous avons interviewé l'auteure principale, Martha Gumprich, pour dégager les points saillants du rapport, notamment les façons par lesquelles il peut aider les étudiants des minorités de genre dans les cours d'éducation physique et à la santé (EPS) et dans d'autres contextes d'activité physique. À la fois instructif et axé sur la recherche de solutions, le rapport fait le bilan des besoins et des expériences des jeunes non binaires dans le sport. En faisant de la lumière sur des statistiques étonnantes concernant « la participation des jeunes non binaires au sport et leur réticence à l’égard de ce dernier, ainsi que les expériences d'agression ou de discrimination », ce rapport propose des moyens tangibles « pour contribuer à la création d’un environnement plus sûr pour tous les genres » dans une variété de contextes d'activité physique.
Parlez-nous un peu de vous-même et de vos recherches :
Je suis diplômée de l'université Simon Fraser (SFU) et titulaire d'une maîtrise en sciences de la santé. Avec une formation en kinésiologie et en thérapie du sport, j'ai travaillé dans divers contextes sportifs, ce qui m'a permis de constater que les athlètes LGBTQ+ et non binaires sont souvent exclus ou victimes de discrimination. Ayant travaillé dans le domaine du sport masculin, j'ai souvent eu l’occasion d’observer et d’entendre des blagues homophobes et sexistes qui sont généralement considérées comme rien de plus que de « l’humour de vestiaire » et qui font simplement « partie du jeu ».
Ma recherche porte sur les expériences des jeunes non binaires** dans les sports d'équipe organisés au Canada. J'ai étudié les nombreux obstacles auxquels les jeunes non binaires sont confrontés lorsqu'ils s'inscrivent à un sport et qu'ils y restent (à l'école et ailleurs), dans le but de rendre le sport plus sûr et plus inclusif pour tous les genres. Ma recherche se penche sur les expériences de 2 513 jeunes non binaires et de 1 929 jeunes cisgenres. Après avoir obtenu mes données, je me suis associée à un groupe communautaire, Trans Connect. Nous avons organisé trois sessions de groupes de discussion avec des jeunes queers et des jeunes issus de minorités de genre afin de connaître les solutions qu'ils proposent pour résoudre les problèmes auxquels les jeunes non binaires sont confrontés dans le sport. Au cours de ces séances, j'ai présenté les principaux constats de ma thèse et les participants ont fait part des changements qu’ils aimeraient voir, à la fois dans les écoles et dans les sports organisés. Dans le sillage de ces sessions, nous avons élaboré le rapport national et une série d'infographies à partager sur toutes les plateformes de médias sociaux.
*Non binaire signifie une personne qui ne s'identifie pas comme un garçon/un homme ou comme une fille/une femme, ou qui s'identifie comme les deux.
**Les jeunes, dans ce contexte, sont les personnes âgées de 15 à 29 ans.
Y a-t-il quelque chose en particulier qui vous a incitée à mener ce type de recherche ?
Bien que les personnes non binaires commencent à être plus visibles au Canada, nous savons que les jeunes non binaires ne sont pas toujours les bienvenus et en sécurité dans les contextes genrés, comme les sports d'équipe. En particulier dans le sport de haut niveau, World Athletics, World Rugby et la FINA (Fédération internationale de natation) ont interdit aux femmes transgenres qui ont eu une puberté masculine de participer à leurs compétitions internationales. Lorsque j'ai commencé mes recherches pour ma thèse en septembre 2021, il n'y avait qu'une poignée d'États américains qui avaient promulgué des lois interdisant aux jeunes transgenres de participer à une équipe correspondant à leur identité de genre. Lorsque j'ai terminé la rédaction de ma thèse en mars 2023, dix-huit États avaient mis en place des interdictions anti-trans (Movement Advancement Project, 2023). Aujourd'hui, en décembre 2023, il y en a 23. La transphobie se propage rapidement et le Canada n'est pas à l'abri des politiques et des lois anti-trans, comme on le voit en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick avec leurs nouvelles politiques en matière de pronoms et de noms.
Des recherches ont déjà été menées sur la participation des personnes transgenres aux sports (Barras et al., 2021, Braumüller et al., 2020, Egale, 2020), mais aucune recherche n'a été effectuée sur les taux de participation et les expériences des jeunes non binaires dans les sports d'équipe organisés au Canada. Certaines organisations sportives ont également adopté des politiques explicites qui enseignent aux équipes les meilleures pratiques pour inclure les participants transgenres (E-Alliance, 2022). Ce n'est pas le cas pour les personnes non binaires, qui sont souvent incluses ou exclues au cas par cas (Spencer, 2020). Afin de faire du sport un lieu plus sûr pour tous les participants, nous devons d'abord écouter ceux qui pratiquent le sport et ceux qui le boudent pour mieux comprendre où des changements doivent être apportés.
Quelles sont les principales conclusions de votre recherche ?
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La principale conclusion de mon étude est que toutes les raisons pour lesquelles les jeunes non binaires répugnent à faire du sport sont évitables. On peut remédier immédiatement à la quasi-totalité d'entre elles en s’appuyant sur l'éducation et sur des changements de politique. Si nous agissons maintenant et mettons en place des politiques proactives et protectrices, nous permettrons à ces jeunes d’intégrer le sport dans leur vie de façon durable, un choix qui, nous le savons, est bénéfique pour la santé mentale et physique. Les sports d'équipe procurent des bénéfices pour la santé mentale à travers les différentes tranches d’âge (Andersen et al., 2019 ; Guddal et al., 2019 ; Tyson et al., 2010). Jouer au sein d’une équipe développe les liens amicaux, élargit le réseau social (Andersen et al., 2019), favorise une meilleure estime de soi, renforce les compétences sociales (Eime et al., 2013) et augmente le niveau d’engagement dans la vie (Halliday et al., 2019). Cela est particulièrement important pour cette population, car les recherches ont montré que les personnes LGBTQ+ ont de moins bons résultats en matière de santé mentale que les personnes hétérosexuelles ou cisgenres (Ferlatte et al., 2020). En fin de compte, ma recherche a fait ressortir les points suivants :
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66 % des jeunes non binaires au Canada qui se disent réticents à l’égard de la participation dans les sports d'équipe organisés le sont parce que cela les aurait obligés à intégrer une équipe sexospécifique (masculin ou féminin).
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4 jeunes non binaires sur 5 qui répugnent à faire du sport l'ont fait à cause de l'aménagement des vestiaires et des casiers.
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1 sur 2 a choisi de ne pas se joindre à une équipe de crainte que les coéquipiers ou les entraîneurs le menacent ou le mettent mal à l’aise lors de sa participation.
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Les taux de participation sont très faibles pour les jeunes non binaires, car j'ai constaté que seuls 11 % des jeunes non binaires que nous avons interrogés participent actuellement à un ou à des sport(s) d'équipe organisé(s) (à l'école ou ailleurs).
Sur la base de vos recherches, quel avenir envisagez-vous pour l'éducation physique et/ou de l'éducation à la santé ?
Je vois beaucoup de potentiel pour l'éducation physique et à la santé. Alors que de nombreux jeunes ont des expériences négatives dans les cours d'éducation physique et les sports organisés, les enseignants sont bien placés pour faire de leurs cours un espace plus sûr pour tous en mettant en œuvre les solutions très clairement exposées dans notre rapport. De nombreux jeunes ont envie de participer aux cours d'éducation physique et de s'amuser avec leurs camarades de classe, mais ils n'y parviennent pas en raison de la nature sexiste des sports et des vestiaires. Si les enseignants continuent de s’informer sur la communauté non binaire, lisent notre rapport et écoutent les besoins de leurs élèves, les cours d'éducation physique peuvent devenir une expérience très positive pour tous les participants.
Quelles recommandations offrez-vous aux enseignants et aux conseils scolaires pour mieux soutenir les jeunes non binaires et/ou de sexe différent dans le cadre de l'activité physique, de l'éducation physique et à la santé et/ou du sport ?
Les enseignants peuvent :
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Permettre aux élèves non binaires de participer à l'équipe de leur choix, peu importe le sexe désigné.
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Dans les cours d'éducation physique, constituer des équipes mixtes ou regrouper les participants selon le niveau de compétition préféré plutôt que selon le sexe.
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Apprendre les pronoms et les noms préférés des élèves.
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Écouter tout besoin exprimé par les élèves non binaires et trans, puis s'efforcer d'y répondre.
Les conseils scolaires doivent adopter des politiques pour concrétiser nos solutions clairement exposées. Cela permettra de s'assurer que ces moyens simples d'inclure tous les élèves ne sont pas mis en œuvre uniquement à la discrétion de l’enseignant. Bien que les enseignants cherchent des moyens d'inclure les élèves non binaires, et j'ai entendu parler d'enseignants qui font du très bon travail dans leur école, beaucoup ne savent pas par où commencer ou quelle est la meilleure façon de s'assurer que chaque élève est le bienvenu et en sécurité. Les politiques élaborées par les conseils scolaires ont le pouvoir de protéger les élèves non binaires et trans. Ces politiques doivent inclure :
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Des vestiaires et des toilettes sans distinction de genre, facilement accessibles à tous les élèves. Si cela n'est pas possible à court terme, des rideaux de douche peuvent être installés dans les vestiaires afin de créer des espaces privés où les élèves peuvent se changer, plutôt que d'être contraints de le faire à la vue des autres.
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L'utilisation des pronoms et du nom préféré d'une personne.
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Permettre à un élève non binaire de choisir l'équipe masculine ou féminine au sein de laquelle il souhaite jouer.
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Permettre à un élève non binaire de porter le maillot/l’uniforme de son choix.
Les conseils scolaires sont encouragés à proposer aux enseignants, lors des journées de perfectionnement professionnel, des ateliers animés par des experts pour les aider à s’informer sur les sexualités diverses et sur la diversité des genres.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes issus de la diversité sexuelle en matière de participation aux activités physiques et/ou sportives ?
Je conseillerais aux jeunes de se rappeler qu'ils ont de la valeur et que chacun joue un rôle important au sein de son équipe. Ils savent mieux que quiconque qui ils sont, et j'espère qu'ils trouveront des gens qui les comprennent et les soutiennent. Je veux qu'ils sachent que des efforts sont mobilisés pour rendre l'activité physique et le sport plus sûrs pour les jeunes non binaires et les jeunes issus de minorités de genre, et nous ne nous arrêterons pas tant qu’il reste encore des jeunes qui sont empêchés de participer au sport en toute sécurité.
Références :
Andersen, M. H., Ottesen, L., & Thing, L. F. (2019). The social and psychological health outcomes of team sport participation in adults: An integrative review of research. Scandinavian Journal of Public Health, 47(8), 832–850. https://doi.org/10.1177/1403494818791405
Barras, A., Frith, H., Jarvis, N., & Lucena, R. (2021). Timelines and Transitions. In B. C. Clift, J. Gore, S. Gustafsson, S. Bekker, I. C. Batlle, & J. Hatchard (Eds.), Temporality in Qualitative Inquiry: Theories, Methods and Practices. Routledge.
Braumüller, B., Menzel, T., & Hartmann-Tews, I. (2020). Gender Identities in Organized Sports—Athletes’ Experiences and Organizational Strategies of Inclusion. Frontiers in Sociology, 5(October), 1–17. https://doi.org/10.3389/fsoc.2020.578213
E-Alliance. (2022). Transgender Women Athletes and Elite Sport: A Scientific Review. https://www.cces.ca/sites/default/files/content/docs/pdf/transgenderwomenathlete sandelitesport-ascientificreview-e-final.pdf
Egale. (2020). Sports Inclusion in Canada: Literature Review (Issue September, pp. 1– 27). https://egale.ca/awareness/sports-inclusion/
Eime, R. M., Young, J. A., Harvey, J. T., Charity, M. J., & Payne, W. R. (2013). A systematic review of the psychological and social benefits of participation in sport for adults: Informing development of a conceptual model of health through sport. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, 10(98), 1–21. https://doi.org/10.1186/1479-5868-10-135
Ferlatte, O., Salway, T., Rice, S. M., Oliffe, J. L., Knight, R., & Ogrodniczuk, J. S. (2020). Inequities in depression within a population of sexual and gender minorities. Journal of Mental Health, 29(5), 573–580. https://doi.org/10.1080/09638237.2019.1581345
Guddal, M. H., Stensland, S. Ø., Småstuen, M. C., Johnsen, M. B., Zwart, J. A., & Storheim, K. (2019). Physical activity and sport participation among adolescents: Associations with mental health in different age groups. Results from the Young- HUNT study: A cross-sectional survey. BMJ Open, 9(9), 1–10. https://doi.org/10.1136/bmjopen-2018-028555
Gumprich, M., & Hare , N. (2023) The Canadian Non-binary Youth in Sport Report.
Halliday, A. J., Kern, M. L., & Turnbull, D. A. (2019). Can physical activity help explain the gender gap in adolescent mental health? A cross-sectional exploration. Mental Health and Physical Activity, 16(March), 8–18. https://doi.org/10.1016/j.mhpa.2019.02.003
Movement Advancement Project. (2023, December 18). Equality Maps: Bans on Transgender Youth Participation in Sports. Movement Advancement Project. https://www.lgbtmap.org/equality-maps/sports_participation_bans
Spencer, D. (2020, June 2). Non-binary athletes navigating Canadian sport with little policy help. CBC. https://www.cbc.ca/sports/canada-non-binary-athletes-1.5585435#:~:text=Sports-,Non%2Dbinary%20athletes%20navigating%20Canadian%20sport%20with%20little%20policy%20help,t%20address%20non%2Dbinary%20people.
Tyson, P., Wilson, K., Crone, D., Brailsford, R., & Laws, K. (2010). Physical activity and mental health in a student population. Journal of Mental Health, 19(6), 492–499. https://doi.org/10.3109/09638230902968308